Qui était Jean Hensens (1929 - 2006)
Il était Belge, né à Seraing banlieue de Liège, dans une famille d'ouvriers-paysans flamands émigrés en Wallonie dans la zone industrielle de la Meuse.
Enfant
sensible et doué, il est le seul des 5 frères et soeurs à avoir fait
des études supérieures grâce à l'aide d'un voisin, Julien Lahaut ,
militant communiste assassiné par les royalistes pour avoir crié « vive
la république » lors du couronnement de Baudouin après la seconde
guerre mondiale.
Mal à l'aise parmi les « fils de bourgeois » de l'école des Beaux Arts
de Liège, il travaille d'arrache-pied et obtient son diplôme
d'architecte à 21 ans tout en apprenant son métier à la mairie de
Seraing pendant les vacances puis chez un confrère à plein temps.
Il découvre les idées anarchistes dans un groupe de copains
politisés, il manifeste avec eux contre les américains, il visite avec
eux le Paris de «la commune», il participe à un chantier international
communiste en Bulgarie, il va jusqu'à la frontière espagnole avec le
fils d'un républicain exilé en Belgique.
Un chagrin d'amour le fait fuir à Paris
où un copain Belge lui trouve du travail dans une agence d'architecte.
Il y sympathise avec un collègue communiste Robert Joly, qui
l'emploiera plus tard et il y rencontre Jean Weiler, le beau frère de
sa future femme.
Malgré un refus symbolique du mariage, il épouse donc Stacia Cviklinski,
l'une des filles d'un couple quasi pied-noir désuni à forte
personnalité et devient le père aimant d'une première petite fille Hanka.
Des
difficultés de travail et de logement ainsi sans doute qu'un espoir
«d'autre chose» le poussent à accepter une proposition de poste au
Ministère des Travaux Publics du Maroc
qui s'occupe aussi de l'habitat, à la suite de la rencontre de M. Ben
Embarek au «groupe d'ethnologie sociale» dirigé par Paul-Henry Chombard
de Lauwe où travaillait sa femme.
En
automne 1962, il arrive à Casablanca en 2cv avec sa femme et sa fille
de 2 ans, après avoir traversé la France, l'Espagne et le détroit de
Gibraltar.
A Casablanca, il travaille dans les services locaux de l'Habitat où il rencontre Mohamed Ben el Khadir
et habite au quartier de l'Oasis une drôle de petite maison, succédant
à des amis communistes qui intègrent la famille dans leur groupe de
discussions et de balades. Il assiste à la naissance de sa deuxième
fille Tania.
Il retrouve dans une réunion de travail Michel De Leenheer, un autre
Belge architecte également, qu'il avait connu en Bulgarie et qui
travaille dans le même Ministère à Marrakech.
Jean obtient sa mutation à Marrakech où l'ambiance lui plaît et y fait la connaissance du responsable de l'arrondissement des Travaux Publics, Alain Masson,
un ingénieur inventif et ouvert qui le fait participer à des
expériences de construction en béton de terre (BTS). Son collègue
Michel De Leenheer lui ouvre son groupe d'amis «de gauche», tous
amateurs de balades en montagne ou à la mer. Les années marrakchies
sont très intéressantes pour lui du point de vue professionnel et
affectif.
Alain Masson est muté à
Rabat et recrute Jean dans un bureau d'études ministériel, le
CERF(Centre d'Expérimentation, de Recherche et de Formation) qui lui
offre des possibilités de recherche expérimentale dans le domaine de
l'habitat de l'urbanisme et de l'aménagement urbain et rural. Ce
déménagement dans la capitale présente beaucoup d'avantages mais génère
aussi quelques déceptions quant à l'ambiance administrative et
sociétale.
Son travail et ses
nombreux déplacements dans tout le Maroc fournissent à Jean une très
bonne connaissance du pays, un réseau de relations et quelques amis
dont Dominique Papini photographe, Jean Dethier et Lisette Delooz qui
s'occupent des publications au CERF, Abdallah Hammoudi sociologue, Saïd Mouline
architecte, Jean-Paul Ichter à Fes, Henri Boccara et Charles son frère
à Marrakech ainsi que Claude et Bernard Rosenberger. C'est une période
très productive pour Jean et c'est aussi une période féconde en idées
nouvelles venues d'Europe car l'installation à Rabat s'est faite à
l'automne 1968. Beaucoup de coopérants français ou étrangers autres
défilent alors au CERF. Jean essaie de concrétiser ses idées dans ses
projets professionnels, il tient compte au maximum de la façon de vivre
des populations pour lesquelles il travaille malgré des directives
parfois trop européanisantes à son goût. Il ne fait pas de contestation
politique car il se sent étranger et ne connaît pas la langue, mais il
n'en pense pas moins et apporte parfois une aide matérielle à des amis
d'amis. Après la disparition du CERF, Jean demeure au Ministère dans le
cadre de la coopération belge pendant quelques années. Il devient
également professeur dans la nouvelle école d'architecture de Rabat. Il
travaille aussi sur l'aménagement du Gharb pour Mustapha Alaoui
économiste, dans le cadre d'un projet de l'institut d'agriculture
(INAV).
A 60 ans, son poste étant
supprimé, Jean travaille un temps pour Ahmed Assermouh, architecte
privé à Marrakech, puis pour un bureau d'étude maroco-libanais à Rabat
(Team Maroc). Il ne se résout pas facilement à quitter le Maroc et à
cesser de travailler car il estime avoir encore des choses à dire, à
faire et à transmettre, mais il vient cependant prendre sa retraite à Maussane-les-Alpilles, village provençal près d'Arles.
Il
reste intéressé par le Maroc où il fait quelques missions, il écrit
quelques articles, donne quelques cours dans des écoles d'architecture
ou des universités françaises (à Aix en Provence, Marseille, Nantes,
Perpignan, Tours,) mais il se sent mésestimé et se replie sur lui-même
et sa famille. Il arpente la montagne des Alpilles, il sculpte des
racines de cade odorant, il invective les journalistes de la télévision
et critique le théâtre politique international. Jean continue à dessiner,
à écrire ses idées , à exprimer sa façon de voir, de comprendre et de
refaire le monde, sa pièce de travail est pleine de dossiers en cours,
mais il se sent bien solitaire, Jean le rebelle, même si sa rébellion
intrinsèque l'a accompagné d'un bout à l'autre de sa vie.
Voir l'intervention de Stacia Hensens le 12 mai 2016 à l'ULB - moyenne résolution - basse résolution
Voir la vidéo "Sur les traces de Jean Hensens au Maroc".
Lire des extraits de son autobiographie "Chemin ".